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L'épaisseur d'un cheveu de Claire Berest

30 Décembre 2023 , Rédigé par Bill Publié dans #Romans français, #Rentrée littéraire

"Quand Etienne Lechevallier s'indigna à part lui que le serveur du Petit Brazil le reluquât encore une fois d'un drôle d'air, nous étions lundi dernier aux alentours de dix-sept heures trente ; Etienne avait comblé sa matinée de corrections sur le manuscrit d'un auteur dont il poussait au paroxysme la joie mauvaise de détester le travail, il avait avalé vers treize heures une omelette, debout dans sa cuisine, accompagnée d'un morceau de roquefort, et à l'heure du café il était parti pédalant en direction du Petit Brazil l'humeur joviale, car une seconde journée débutait pour lui, dévolue à son projet personnel qu'il jouissait encore de tenir en toute clandestinité, habillant l'escapade d'un charme secret. 

Il était alors impossible d'imaginer que trois jours plus tard, dans la nuit de jeudi à vendredi, Etienne tuerait sa femme."

En deux phrases, les deux premières phrases de ce roman, tout est dit.

Une longue phrase, à la syntaxe et à la ponctuation ciselée, respectant les règles grammaticales de concordance des temps, offrant la délicatesse d'un subjonctif, d'heures en lettres, de traits d'union joliment déposés, virevoltant au gré des activités d'Etienne, à la journée bien découpée entre pensum et projet secret..

Une deuxième phrase, courte, factuelle, brutale.

Le première page de ce roman, avec ces deux phrases porte en elle toute l'incompréhension qu'a Etienne du monde qui l'entoure, tellement qu'il est bardé de certitudes, de règles, tant dans sa vie professionnelle (il corrige des manuscrits, mais ne peut s'empêcher de les réécrire s'il les trouve trop mauvais) que personnelle (il vit dans l'appartement où il a grandi et toujours vécu, et dont il a hérité au décès de sa mère ; il prend ses vacances toujours au même endroit.

Et forcément il est invivable ....

Et quand sa femme ne voudra plus suivre ses règles, voire le quitter, il explosera ... 

Un roman dur, où la rigidité de cet homme empire de chapitre en chapitre, sans qu'il ait la moindre conscience de son état et donc ne puisse y remédier.

Il a raison, les autres ont tort.

Il n'entend ni n'écoute personne. Tous s'éloignent de lui pour se protéger et le laissent seul dans ses délires.

Et l'irréparable arrive.

Ce roman m'a secouée.  Remuée. Perturbée.

Mais je suis contente de l'avoir lu, car d'un thème (un peu trop) rabattu ces temps ci, Claire Berest produit une pièce unique. 

 

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G
j'aime bien sa plume mais rencontrant un peu trop ce genre de cas en ce moment, j'attendrai à plus tard pour le lire
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